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"L'empire du moindre mal" par Jean-Claude Michéa

Publié le par Morozov Junior

Note 9/10

Note 9/10

La philosophie libérale genèse de nos problèmes.

Après avoir lu "Le complexe d'Orphée" du même Michéa, j'avais saisi l'importance de ce penseur mais il me manquait un fond théorique qui servirait de base pour comprendre ce phénomène qu'est le libéralisme et relier ses multiples conséquences à un socle de départ. Et puis j'ai lu 'L'empire du moindre mal" et j'ai enfin trouvé ce que je cherchais depuis longtemps. C'est pourquoi je conseille la lecture de ce livre comme entrée dans la pensée de Michéa, car c'est précisément cet ouvrage chez lui qui explique les origines de la pensée libérale.
L'auteur nous fait remonter aux guerres de religion du XVIè-XVIIè siècles et nous explique qu'une guerre civile idéologique gangrenait l'Europe entre protestants et catholiques. Pour remédier à cette situation catastrophique, est née l'idée selon laquelle le Bien absolu ne devrait plus exister et qu'il devait se substituer à l'idée d'une société juste où chacun pourrait avoir sa propre définition de la vie bonne à condition de na pas nuire à autrui.

On peut alors se dire : Quelle idée géniale ! et qu'il faut être sacrément ronchon et hargneux pour s'opposer à une telle idée ! Alors pourquoi Michéa est-il antilibéral ? La raison est très simple : en accordant à chacun la liberté de se conduire comme il veut, on a par la même, supprimé les valeurs fondamentales de nos sociétés humaines (les valeurs républicaines dont nous serinent aujourd'hui nos politiciens libéraux, cherchez l'erreur !), loyauté, générosité, esprit du don, amitié, fraternité, confiance etc. Alors pour palier à ce manque nos bons libéraux se sont dits que le lien social détruit pourrait être recrée de toutes pièces grâce à l'idole des temps modernes : l'Economie ! En effet, pour eux, un enrichissement des gens (et en premier lieu des riches) finirait par effet de ruissellement par enrichir toute la société, ce qui la rendrait plus vertueuse. A noter l'équation douteuse : riche = vertueux (cf nos traders, financiers, patrons du CAC 40, directeurs de Hedge funds...)

Nous voici donc au cœur du problème. Car il ne faut jamais oublier que le libéralisme est avant tout une philosophie profondément progressiste et absolument pas réactionnaire comme se plaisent souvent à le dire les gauchistes. Donc, en supprimant les valeurs morales élémentaires à toute société et en les remplaçant par l'égoïsme et l'intérêt privé ( qui devait conduire à faire le bonheur de tous. cf. La fable des abeilles de Mandeville de 1714) on a rétabli la guerre et la compétition économique de tous contre tous, précisément ce que cherchait à contrecarrer l'idéologie libérale au départ. L'autre versant de la philosophie libérale est la place accordé au Droit, car dans une telle société ou chacun à sa propre vision de la vie bonne, inutile de dire que les procès et les situations de jurisprudence sont inépuisables. D'où le fait qu'il faille harmoniser les façons de penser et les comportements ce qui nous mène au politiquement correct actuel (ce que Nietzsche abhorrait le plus : la moraline)

Alors évidemment, plus le temps passe et plus la situation s'aggrave, mais le XXIè siècle sera particulièrement intéressant. Les fanatiques libéraux du Progrès technique et économique (de droite comme de gauche) ne semblent pas vouloir démordre de leur idéologie mortifère. Mais pour la première fois ils vont être confrontés au Mur écologique et à l'épuisement progressif des ressources de la planète. On peut également se demander jusqu'où ils vont vouloir aller dans leurs délires transhumanistes pour faire progresser la Croissance...

Michéa, lui, appelle à en finir avec le libéralisme et le Progrès, il faut recréer une société basée sur les valeurs traditionnelles, la common decency orwellienne et le réenracinement local conte l'individu nomade attalien. Pour l'économie, il propose de fixer un revenu maximum où celui qui le dépasserait pourrait être qualifié d'indécent. Il propose de revenir au concept de monnaie fondante de Silvio Gesell pour éviter l'accumulation excessive du Capital. Pour le reste tout le monde connait ses positions sur la décroissance. En somme, construire une société décente pour tous plutôt qu'une société juste pour quelques uns.
Rassurez vous, cet ouvrage se lit très bien à condition d'être concentré et de prendre quelques notes. On en ressort vraiment enrichi et on dispose d'un argumentaire antilibéral solide ( tous les gauchistes progressistes devraient lire ce livre). L'humour est aussi au rendez-vous et les sociologues d'Etat (ceux là même qui se gargarisent de voir des racailles brûler des voitures ou du niveau scolaire minable) , les lecteurs de Libération ou les téléspectateurs de Canal + en prennent pour leur grade. Le livre présente aussi une belle bibliographie tout au long de la lecture qui invite à aller plus loin sur des points essentiels. Par exemple :

Pierre Manent, Histoire intellectuelle du libéralisme
Frédéric Rouvillois, Les origines du progrès
Serge Latouche, Le pari de la décroissance
Luc Boltanski, Le nouvel esprit du capitalisme

Lu dans l'édition Flammarion, collection Champs paru en 2010. (205 pages, 8.20€)

Publié originellement en 2007 aux éditions Climats

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